La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

vendredi 30 décembre 2011































































































































Aux marcheurs du bout de l'An





un jour avec, un autre sans...

Voilà deux jours qu'une pluie fine et tenace tombe sur la région. En début de semaine, j'ai tenté une sortie. Marcher par un temps pareil rend difficile la moindre installation. Je laisse passer la nuit et le lendemain matin, une légère accalmie me redonne espoir. Je prends la direction des plages.
Dans le chemin creux qui mène aux grèves, j'aperçois la mer, calme et au bas. Avec un coefficient de 94, elle aura bien dégagé l'estran. Mais sur ces côtes, le paysage est à découvrir au dernier moment car les empierrements peuvent disparaître sous des tonnes de sable, d'une semaine à l'autre.
Je marche plein nord. L'air marin me fouette le visage. Il ne fait que 3 degrés et je vais travailler les mains dans l'eau. Aujourd'hui, pas de spirales possibles, tout le sable est mouillé, trop tassé. Je vais donc monter des cairns. Ce seront les derniers de l'année. Aujourd'hui, j'ai la main et trouve facilement les points d'équilibre. Je suis encore limité dans le portage des pierres depuis mon accident du 9 mai. C'est un vrai plaisir que de choisir chaque pierre, l'apporter au lieu choisi et monter le cairn, face à la mer.
Je change d'axe de marche et remonte vers l'est. Je croise quelques marcheurs emmitouflés. Ils me saluent. Sur mon trajet, je trace une figure géométrique dans le sable mouillé. Elle s'intègre bien au mouvement laissé par la mer, en se retirant, d'ici.
Je découvre , dans un rayon d'une vingtaine de mètres, une réserve de pierres blanches, alors que l'estran est couvert de goémon noir à cet endroit. Elle auront passé un très long temps sous les sables avant d'être découvertes, ce qui aura préservé leur blancheur. Dans deux mois, elles seront colonisées par les d'algues.
Je les regroupe en un ensemble de personnages que je désigne comme étant, les marcheurs du bout de l'an. C'est à eux que reviendra la mission d'aller vers cette nouvelle année, parmi les grèves.
Mon imagination m'emporte avec eux. J'ai tellement envie d'enchanter ce monde gris, que parfois, je me laisse prendre au jeu de cette transformation.
Avec ce jour de soleil, comme une trêve au milieu de la dernière semaine de l'année, je n'ai réalisé que la moitié de mon projet. Je dois, maintenant, travailler à l'intérieur des terres.
Le lendemain matin est gris, plombé, avec un ciel qui traine par terre. Mes chaussures de marche sont encore mouillées et pleines de sable.Je me dirige vers un marais de la région. On y accède par une longue piste de terre battue qui traverse des terres ensemencées de blé et d'orge. Voilà bien longtemps que le remembrement a rasé toutes les haies. Le vent est au nord Ouest et rien ne l'arrête. Au-dessus de moi, un vol de corbeaux joue avec ces courants d'air, s'envole, se pose, avec facilité. Je suis plus lourd qu'eux et mes pieds collent à la piste. Le paysage est sinistre. J'arrive à la zone marécageuse et je pénètre dans le sous-bois qui la couvre. La petite rivière est à 100 mètres de l'orée. Ce sous bois est un piège. A peine ai-je fait 20 mètres que mes pieds s'enfoncent jusqu'aux chevilles dans un sol gorgé d'eau. Le pluies des derniers jours ont fait monter le niveau d'eau de la rivière et le sol spongieux, s'est gorgé d'eau par capillarité. Bain de pied obligatoire, fin décembre.
Je dois rejoindre la zone des arbres moussus et progresser encore. Je marche sur les branches mortes, les souches, et les terrains plus durs. J’arrive à la rivière. Je réalise trois petites étoiles de fougère, que j'ai le plus grand mal à installer, perché, à genoux, sur un tronc d'arbre et manque tomber à l'eau plusieurs fois.
Je quitte le bord du cours d'eau, et reviens vers le centre du bois. Je navigue entre les arbres mousus et cherche une idée pour symboliser les douze mois de l'année écoulée. Ce sera un ensemble de douze petites sphères de mousses posées en équilibre sur un arbre abattu par la dernière tempête.
J'ai réalisé mon objectif, un jour avec soleil, un autre sans, m'auront guidés dans les choix des lieux.
Au moment d'écrire cette page et de la réaliser, j'ajoute quelques installations plus anciennes. Je me souviens de cette découverte insolite sur une friche du port de Caen, en fin d'été. Un sac de ciment blanc, ayant perdu son emballage et qui attira mon regard, dans les broussailles. J'étais allé cueillir des pétioles de feuilles de vigne vierge, pour sortir provisoirement cette forme de l’anonymat. Une façon aussi pour moi, de réchauffer cette dernière présentation de mon travail, avant de continuer en 2012. J'aime a conserver cette errance de mon imaginaire qui me permet de voir ce que les autres ne regardent pas forcément. Ce temps consacré à la recherche de soi, à la connaissance de soi, est une constate navigation entre ma vie d'homme âgé et celle de l'enfant que j'étais, si proche de la nature. Une liberté qui a un certain prix, celui de ma vie.

Merci a vous, nombreux lecteurs et amis, qui ont fait son succès en France et à l'étranger. Merci à vous qui m'avez soutenu pendant les moments difficiles et donné l'envie de continuer, malgré tout, pour me reconstruire, bien sûr, mais aussi pour vous qui me le demandiez.

Bonne année à tous et que 2012 soit un peu plus humaine et pacifiée.
Bien amicalement

Roger Dautais






L'arbre fait le mort
tout l'hiver
sous la voix d'oracle
du vent

Il observe en silence
le fond du monde par ses racines

Il nous enracine dans le ciel vide.


Marie-Josée Christien

Les extraits du temps
(Les éditions sauvages )

mercredi 21 décembre 2011















































































































































Le Grand Passage...

S'il y a bien une période où parler de land art n'est pas la mieux choisie, c'est, je le crois, la dernière quinzaine de l'année où les préoccupations de chacun sont bien ailleurs. Comme me disait un journaliste parisien, ayant fait le voyage pour me rencontrer, heureux de commencer son interview ainsi :
- ça sert à quoi, le land art ? m'entendit lui répondre:
- à rien.
Car s'il faut répondre à cette question , par une réponse qui satisfasse les braves journalistes pour rentrer dans l'histoire de l'art, aussi bien rester dans l'anonymat. Mais comme nous étions bien partis, je l'emmenais, loin de la ville, sur une plage battue par un vent d'est sympathique et froid. Notre homme tenait à me voir réaliser une spirale et un cairn, et, si nous avions le temps, s'y mettre également. Il était habillé trop légèrement et le froid le glaça vite fait. Il me regardait sans rien dire et prenait quelques photos.
- Je voudrais essayer, me dit-il.
Je lui montrais le principe du mouvement circulaire, le rythme, les repères à prendre. Il planta son talon gauche dans le sable et se rempli le mocassin de sable humide, des le premier mouvement.Je regardais la scène, amusé. Au bout de deux mètres de sillon, notre homme abandonnait.
-Bon, j'ai compris le principe, avec quelques photos, ça ira.
Au bout d'une heure et demi, je terminais ma spirale. Je lui proposais de traverser la grande plage pour gagner l'estran où nous trouverions de quoi monter un ou deux cairns.
Les rochers étaient glissants, recouverts de goémon, cachant des quantités de petites mares. Il ne se passa pas dix minutes sans que notre journaliste ne glisse dans l'une d'elles, sans tomber, toute fois. Une bonne façon pour lui de comprendre que les mocassins ne sont pas les meilleures chaussure pour pratiquer un art qui sert à rien !
Je choisi un lieu et lui expliquais ce qui allait se passer. Lui, irait chercher les plus grosses pierres, pour réaliser la base, et je chargerai de ramener celles qui permettrait d'élever le cairn à une hauteur de un mètre cinquante.
Il me ramena, en tout et pour tout, une grosse pierre et revint avec le pantalon trempé et le dos cassé. Il ne fit plus aucune remarque et attendit que la grosseur des pierres diminue pour me les passer. Il regardait ses mains écorchées, comme les miennes, par les petites berniques collées à chaque caillou, ce qui les rendait coupants comme des lames de rasoir.
- Voilà, lui-dis-je en montrant ce cairn à fière allure. Il portera le nom du Grand Passage.
- Pour quelle raison ?
- Oh, lui dis-je, dans un art qui ne sert à rien, il n'est pas nécessaire de tout expliquer.

Cette fois, je pense mon journaliste en avait assez. Nous sommes remontés jusqu'à la voiture, puis je lui ai offert un café dans un bistrot du port. Il me dit qu'une fois rentré à paris, il me contacterait, pour éventuellement, me demander quelques photos complémentaires.
Il ne m'a jamais rappelé et je n'ai jamais vu paraître dans son journal. Je pensais lui avoir fait gagner beaucoup de temps pour l'avenir lorsqu'il aurait à parler de cet art ingrat qui fait se mouiller les pieds et arrache les doigts.
Des journalistes, j'en avait rencontré beaucoup mais de son espèce, c’était le premier. Je me devais de lui offrir un beau souvenir.
Les magasins sont pris d'assaut. Les plages sont désertes , le vent bien présent, quand la pluie ne s'y met pas, et les rochers sont toujours aussi coupants. C'est, vrai, on se demande bien ce qu'un homme vieillissant comme moi, peut bien faire à courir l'estran ou les grèves, entre deux mariées. Que voulez-vous, les petits bonheurs appartiennent à chacun. Pour moi, c'est par là que cela se passe.


Roger Dautais




" Gracieuse
en ces vieux gestes
l'aube essore
avec soin la mer

Le soleil met à la baie
sa nappe bleue
sans une tâche de temps
de guerre de marée noire

Bien peu répondent
a l'invitation
accordent au jour
des yeux prêts au regard "


Anne-Josée Lemonnier

Falaise de proue 2003






mardi 13 décembre 2011





















































































































Ce qui existe un instant, existe toujours.


Norge





J'ai posé les yeux sur un champ de pierres. Le chemin passait par là, qui me rappelait des absents disparus. Leurs voix, je les entendais entre deux roulement de vagues, juste avant la déferle. Notez bien, on n'a pas le droit de dire " la déferle", ni de l'écrire, mais c'est plus simple pour décrire ce moment éphémère et magique.
C'est comme la pratique du land art, on n'a jamais le droit. Les règlements, ils sont partout. Ils ne sont pas faits pour nous inspirer, ils sont là pour nous rappeler la loi.
Remuer des pierres, ça gène et aucune loi n'a jamais dit :" Tu chercheras des pierres et tu les mettras l'une sur l'autre, même si cela est pénible, pour créer de beaux équilibres. Tu les nommeras cairns et tu diras qu'elles sont ainsi disposées, comme le faisaient tes lointains ancêtres, pour honorer tes disparus.
Non, ça n'existe pas une loi comme ça.
Personne ne te diras : Marche plein sud jusqu’au petit lac. Entre dans l'eau et va jusqu'au premier nénuphar dont tu feras le centre de ta prochaine installation.
Les gens, comme on dit, ils tournent autour du lac en famille ou seuls, avec leurs beaux habits et ils te regardent parce que tu as de l'eau jusqu'au ventre. Impossible de savoir à quoi ils pensent.
Alors, de jour en jour, il faut continuer la route, passer sous les frontières de barbelés, sans effrayer les bêtes en pâture, jusqu’à trouver le petit lac au milieu de la forêt domaniale, très au sud de la grande ville. Il faut cueillir, fougères, fleurs, feuilles et baies. Il faut construire avec le tout, un cercle flottant sur les eaux noires et le transformer en gâteau pour les yeux.
Expliquer cela au garde forestier, serait impossible. Les gardes, ils pensent juste à la loi, c'est tout, puisqu'ils sont faits pour ça.
Dans les squares, c'est pareil, bien que je n'y aille pas trop souvent. Il faut cueillir une poignée de pommes rouges, en faire des brochettes, puis un carré sur la margelle en ardoise d'un bassin où nageaient des feuilles mortes. Dans l'absolu, impossible, c'est interdit.
Je vous dis, la vie de land artiste, ce n'est pas fait pour ceux qui traversent dans les clous. C'est vraiment pour ressentir les choses. C'est fait pour sentir, voir, écouter, toucher et goûter la vie au milieu de la nature. C'est d'emmener avec soi tous ceux qui l'ont quittée. C'est chanter la vie, simplement ça, chanter la vie libre dans la brume naissante qui un jour ou l'autre remonte de la mer pour effacer les falaises à suicide.
J'ai repris la route vers les côtes, avec en tête cette phrase de Norge :
" Tout ce qui existe un instant existe toujours".
Mais alors, mes souvenirs...



Roger Dautais






à Myriam Montoya

Ne rien regretter
Ni le gel, ni le sol rugueux
Ni le dos cassé au travail
Se courber seulement,
Devant la Nature.


Roger Dautais

D'autres poèmes dans l'Anthologie subjective de Guy Allix
guyallix.art.officelive.com/

mardi 6 décembre 2011














































































































































































Paroles de fleuve
Rive gauche, rives droite, chemin faisant, j'atteindrai bien la mer...


C'est ce que je me disais l'autre jour, me rendant à quarante kilomètres au sud des côtes de la Manche. Mon intention de dialoguer avec les eaux du fleuve, guiderait mes pas sur les deux rives. Côtoyer, aux portes de l'hiver, ces eaux vives et découvrir une fois de plus, ses rives désertes, m'obligerait à pratiquer un land art épuré jusqu’à faire parler le peu, blotti au creux de la froidure humide.
Lorsque je suis arrivé au grand déversoir, j'ai tout de suite compris que le programme ne se déroulerais pas comme d'habitude. Il me faudrait descendre dans le lit du fleuve, dont les berges asséchées marquaient ainsi, le manque d'eau du dernier été. Je pris les précautions d'usage pour descendre sur les rocs dont les plus intéressantes étaient posées à moitié dans l'eau. Par ce temps, glisser dans le fleuve n'avait rien d'agréable, parfois même, dangereux, mais il faut bien aller les chercher où elles sont.
Le déversoir était bruyant et rendait, en écume, l'eau qu'il avait empruntée, calme, en amont. J'ai élevé mon premier cairn, puis le second, et le troisième. Je me disais être bien loin des plages, vers le nord, rêvant déjà y faire une spirale dans le sable .Voici mon langage, me disais-je, mes pierres muettes, ma grammaire, ma syntaxe fluviale qui racontait l'histoire d'un homme assez vieux, pour ne plus perdre sa vie à cela. J'écrivais ainsi, une biographie éphémère que personne hormis le fleuve ne lirait un jour. Au fur et à mesure de mon avance, les pieds trempés, je trouvais un alibi et ralentissais la marche, dans le lit de ce fleuve, écoutant les quelques oiseaux présents, profitant du crépuscule, de sa lumière tamisée qui couvrait d'or les arbres en aval. Je terminais, loin du déversoir, dans un silence qui boucla la boucle et
m 'accompagna jusqu’à la nuit.
Le lendemain, je longeais une autre partie du fleuve, cette fois ci, rive droite. Territoire maritime dont les eaux saumâtres déposaient depuis des siècles ces vases grises qui rendant si dangereuses les berges à marée basse. J'accompagnais du regard, les eaux grises que la marée basse aspirait vers l'estuaire, dans un bruit léger, un froissement qui n'avaient aucun rapport avec les masses d'eau en mouvement. Je m'enfonçais dans le sous bois, gardant le bruit du reflux, à l'oreille.
Lorsque j'arrivais au lieu recherché, le fleuve avait perdu quelques mètres par rapport aux hautes eaux et, s'était immobilisé. C'est un léger souffle qui marqua la renverse et l'arrivée du flux avec ses eaux plus raides, écumeuses, charriant sur le ventre, la future laisse de mer. C'est pendant ces mouvement que je trouvais l'inspiration et réalisait quelques installations. Plus tard, je passais côté canal pour terminer mon voyage.
Le troisième jour, je retrouvais les plages par un temps à ne pas mettre un chien dehors. Une température très basse, 3°, un vent de Nord, Nord-Ouest de 40 K/heure et des grains cinglants. Alors pourquoi, y aller avec de pareilles conditions climatiques. Tout simplement à cause du soleil qui me servit une lumière fugace, certes, mais d'une si grande beauté , que je n'ai pu résister.
Les sables, grêles avaient été tassés par ces pluies d'orage. Je savais que cela serait difficile. Comme, je me sentais en forme malgré tout, je m'y suis mis. Je vous ai raconté dernièrement, d'où je sors et quelles sont mes difficultés physiques, mais je me suis acccroché. Bien sûr, la spirale était moins profonde, mais elle était là. La mer est arrivée dessus, au moment où je traçais le 24ème tour. J'ai photographié ces instants inoubliables même si je les ai vécus très souvent. J'ai pris des photos sous l'averse, et je pensais plus à mon appareil qu'à moi. Je suis remonté dans les falaises, attendre que le grain passe et j'ai continué à travailler dans le froid humide. Le land art nous oblige à ces dépassements et nous plonge au cœur des éléments qu'il faut savoir supporter pour comprendre. Des petits bonheurs qu'il faut vivre pleinement.




Roger Dautais







jeudi 24 novembre 2011






























































































































































































































































































à deux cent jours près...



à celle que j'aime


Lorsque j'arrive sur la plage, le temps est gris, avec des promesses de soleil. Je vois Le Havre au loin sur ma droite. La mer est basse, coefficient 89. Une petite dizaine de pêcheurs à pied tente sa chance, qui à la crevette grise, qui aux étrilles, pour les plus valeureux. Ils ont traversé la passe, avec de l'eau jusqu'aux épaules pour rejoindre les rochers ne découvrant qu'aux belles marées. Il fait 8 °, mais le vent nous laisse en paix. L'été, ils seraient ici, une bonne centaine et moi, beaucoup moins tranquille pour pratiquer le land art.
Bientôt 200 jours que je me soigne depuis notre accident de voiture. Mon rêve est simple puisqu'il consiste à refaire une grande spirale de 24 tours( comme les 24 heures du jour) dont la circonférence atteindra 45 mètres, une fois achevée.
Il y a trois semaine, mon dernier essai s'est soldé par un échec au bout de six tours car je perdais l'équilibre. L'exercice demande d'en avoir un minimum ! Alors, j'ai redoublé d'ardeur chez la kiné, sans la mettre dans la confidence car elle n'aurait pas compris que je fasse cette chose.
Depuis deux jours, je me sentais pouvoir essayer. Hier était le bon jour.
J'ai choisi un endroit, pas trop près de ma mer qui commençait à monter. Je ne me voyais pas encore faire la course avec elle comme je l'ai fait si souvent. Tant pis pour le recouvrement sous les vagues.
Et j'ai commencé, le corps légèrement plié vers l'avant, le talon gauche planté dans le sable et faisait office de soc, la jambe droite tendue, servant de moteur. En fait, il n'y a aucun repaire pour réaliser cette spirale, c'est purement mental. Il faut avoir intégré le mouvement en soi. Le rythme doit être soutenu, et très rapidement calé sur le souffle.
Je me suis mis a progresser jusqu'au 6ème tour. C'est là que les douleurs sont apparues. D'abord dans la cuisse gauche, avec cette sensation de brûlure et puis dans toute la jambe. Je me suis dit, il faut que j'en fasse au moitié la moitié, 12 tours, après, les muscles seront chauds et ça passera. Lorsque j'en suis arrivé là, non seulement, les deux jambes étaient prises mais je sentais mon tendon d'Achille gauche, près à me lâcher. J'en connais le prix, en ces treize années de pratique de land art et l'âge venant, je me suis arrêté de nombreuses fois, jusqu'à m'arrêter plusieurs semaine pour récupérer de tendinites.
Pourtant, avec douze tours, la spirale commençait vraiment à pendre de l'allure. Je me suis dit,si j'en ai fait douze, je peux encore en faire autant. A un détail près, le premier tour sur soi fait à peine un mètre et les derniers, beaucoup plus long.
J'ai failli arrêter et pourtant, je me suis remis au travail, me rendant compte que j'avais gardé mon sac à dos et que je m’accrochais à ma canne de marche, qui ne me servait àrien, comme pour avoir une compagnie rassurante. Avec la fatigue, je perdais l'équilibre, me rattrapant en plantant ma canne de arche dans le sable.Dans ces moments d'intense effort, la solitude est plus pesante et chaque détail pouvant donner un peu de courage, compte énormément.
J'aime cette figure de spirale, parce qu'elle difficile à réaliser, qu'elle demande une grande maîtrise et qu'elle s'intègre parfaitement dans un paysage marin, tout en restant à la mesure de l'homme, sans faire appel à du matériel. On peut dire que la, dans la boîte à outil, il faut la tête et les jambes. C'est vraiment dans l’esprit du des pionniers du land art.
Je l'ai terminée, fier de l’avoir fait dans ces conditions difficiles, car il va me falloir quelques temps pour récupérer physiquement, mais je sais, maintenant, que je peux toujours la faire. Content de la dédier à celle que j'aime et qui était à mes côtés dans la voiture, le soir de notre accident.
J'ai regardé cette spirale d'autant plus que le soleil est venu répandre une lumière d'or sur la page pendant une demi-heure.
Il faut avoir vu ce spectacle, " in situ", pour comprendre cette magie du land art, de cette spirale qui capte si bien la lumière et la renvoie généreusement. A 40 mètres, on ne la voit pas, et si l'on s'approche, il se passe toujours quelque chose entre le passant et elle.
La mer était encore loin, au moins à une heure de la recouvrir par les premières vagues et elle l'aura probablement prise à la tombée de la nuit, sans autre témoin que les mouettes et les goélands.
J'ai terminé mon travail en dessinant ce danseur qui jongle avec elle depuis des années, puis une dédicace To The Sea et enfin quelques unes de mes étoiles.
Je pouvais repartir, avec mes douleurs et ma satisfaction de les avoir dépassées.
A deux cents jours près, dans la nuit printanière du 9 mai 2011, sur une petite route de Cornouailles, la mort nous avait accordé un répit, et permis de retrouver des petits bonheurs de la vie, parmi lesquels, le land art.



Roger Dautais


Veuillez excuser la mise en page aléatoire et critiquable de mes photos land art, faite par Bloguer et que je n'ai pas réussi à corriger.
R.D.





.../

Je reprends le voyage
sans trouver le port
ouvert dans le silence
Une main invisible
rassure
éclaire le regard
quand plus rien
ne tient
Un soupçon de sève
où se promet le sens
accompagne le secret.

*
De l'humidité
de l'humus
surgit
la palpitation du monde
Un mouvement de l'âme
m’accueille
et me fonde
surgi
de l'extrême pointe
du désespoir
l'ignorance précède
ce qui se tait.

*


Je sais
l'affleurement
des mots
au cœur du silence
Au vif du vent
un autre versant
de moi
se découvre
à l'écoute du monde
*
Dans l'infime écheveau
où la parole se déroule
je cherche la vie
à tâtons
J'avance
mot à mot.

Marie Josée Christien

Extrait de texte paru dans l'anthologie "5 Voix de Bretagne" présentée par Jacqueline Saint Jean aux éditions Encres Vives( 2007

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.