La vie, comme elle va

"S'il suffisait de lire comme dans une bulle de cristal, alors, ce serait, facile.Mais il faut vite déchanter, prendre la route, sac au dos et marcher, toujours marcher pour oublier ce que l'on a déjà fait, ce que l'on va faire. Il faut attendre que la nature nous prenne et nous ouvre sa voie. C'est une progression incessante, pour de si petites choses".
Roger Dautais . Septembre 2009

Un voyage étonnant au cœur du land Art

lundi 23 décembre 2013

Normandie. Hermanville  pour Isabelle Kramer
Bretagne. Pointe de Kerpenhir.  pour Marty
Bretagne : Ile du MEN DU  pour Bob Bushell
Bretagne. Quiberon  pour Oxy
Bretagne. Ria d'Auray   pour Rick Forrestal
Bretagne : Port de Saint Goustant. à Patrick Lucas
Bretagne. Forêt de Crac'h    Pour Kenza
Bretagne. Ria d'Auray    Pour Anne Lemaïtre
Bretagne. Kerplouz Le Bono     Pour Sadaya
Bretagne. Ile du Men Du  pour Camino roque
Bretagne. 7 Iles Golfe du Morbihan  : pour Mémoire de Silence
Bretagne. Le Bono : a Guy Allix
Normandie. Port de  Ouistreham à Mon ami Raymond Anisten
Bretagne. Forêt de Camors à Marie-Claude
Bretagne. Ile de Saint-Cado : Pour Tilia
Normandie. Colombelles  pour France




Aux lecteurs du Chemin des Grands Jardins 



Ce soir, une forte tempête traverse la Bretagne, et, si  j'étais en  meilleure forme, je serais allé  y goûter.Encore quelques  jours et  nous basculerons dans l'année nouvelle. Pour vous accompagner  jusque là, j'ai concocté ma dernière page de 2013. Contrairement  à  mes habitudes, j'ai supprimé toutes les légendes de  mes installations pour les remplacer par des indications géographiques. J'ai volontairement repris des créations réalisées en Normandie,  où j'ai vécu 30  longues années, avec d'autres,  plus récentes, choisies parmi celles faites en Bretagne depuis le mois d'avril dernier.
J'entre dans ma seizième année de pratique du land art et, compte tenu de  mon  âge, je n'en ferai plus autant. C'est une activité qui conserve la forme,  mais en requiert un  minimum.Ce qui me retient  un  peu de pratiquer comme autrefois, c'est bien évidemment  mon état de santé, mais je tiens  à expérimenter cette vie, ce mode de vie, le plus longtemps  possible.
Si  les grands travaux sont derrière  moi, grâce  à cette culture permanente de la perception du  monde acquise  par  ma vie dans et au contact de la Nature, je peux connaître des émotions fortes, très fortes et les transposer dans mes installations. Ma lecture singulière du paysage, mes cheminements permanents, curieux,renouvelés, répétés, comme  un  pianiste le ferait de ses gammes, me font aller  à la rencontre de  l'histoire de  l'humanité, que bien de mes semblables  ont perdu.
J'ai tissé des liens d'amitié avec des  lieux, des chênes centenaires, des  dolmens accueillants, des  menhirs dressés au milieu de terres sacrées. Ils  m'ont confié leur  poésie. Vivre dans ces  lieux,  pour  peut que l'on soit sensible au magnétisme ambiant, transforme, calme, rend  plus sage,  plus  humble,aussi. Il faut avoir la porosité d'une feuille qui transforme la lumière en énergie. Nulle avancée  possible dans  l'initiation, sans avoir compris qu'il faut s'arrêter pour écouter, voir, sentir, goûter et toucher au cœur du  monde, au tambour du monde qui bat ici. Se tenir en équilibre près des eaux dormantes d'un marais respirant sous le  brouillard au lever du  jour c'est être  à la rencontre des Deux Mondes qui se révèle dans l'instant,  ponctué  par le cri d'une aigrette saluant la  lumière.
J'ai retenu mon souffle tel  un enfant émerveillé par la vue des alignements de Carnac, de Kermario, de Kerlescan et  j'ai compris que la même vibration se retrouvait par exemple au dolmen de Luffang.
Il faut comprendre cette école du savoir, de la rudesse, du silence des  pierres, de l'histoire qui suinte des lieux, avant d’entreprendre quelques travaux que ce soit, sous peine de fausseté, immédiatement ressentie.
Difficile d'emmener quelqu'un avec moi dans cette quête  purement personnelle. C'est difficile à faire comprendre, aussi.
J'ai besoin de la présence de  l'eau, du flux  puissant de  l'Océan Atlantique remplissant les Ria pour comprendre ce qui me  lie,  à tout jamais avec la mer, depuis  mon enfance. Une fois cette puissance  ingérée, je peux la restituer dans mes spirales qui restent la figure emblématique de  mon  travail de land artiste: temps suspendu, isolement sensoriel poussé  à  l’extrême  limite de  l'équilibre. Tout geste de création qu'il soit  infiniment  petit  ou grand, naît dans cette matrice que  l'on nommen Nature, et participe  humblement au chant du monde.
Simple passeur dont le souffle s'amenuise avec les ans, je ne serais rien au bout du compte, s'il ne me fallait  plus donner, échanger. C'est votre regard qui donne de  l'humanité et un sens  à ce que je fais.
Dans quelques jours  ou semaines,  une fois  remis en forme, je répondrai à cet appel intérieur et je repartirai sur les chemins pour d'autres rencontres, d'autres créations.

Merci  à vous de  m'avoir suivi en très grand nombre jusqu'ici.
 Merci  à  mes amis  poètes  pour leur participation indispensable au Chemin de Grands Jardins
Roger Dautais
BONNES FÊTES DE FIN D’ANNÉE A TOUS ET MEILLEURS VŒUX  POUR 2014


Le tour de soi  
une vie n'y suffit
nous sommes le comble du voyage.
 
Naviguant sur une mer secrète
au sous-sol de la Poésie
je vis.
 
 
****
 
 
En tenue de nuit
les rêves
a tout ont réponse.
 
Au réveil
à vous de choisir
la tenue du jour.
 
Écriture
armure
tenue toute épreuve.
  
Guénane 

 Pour  mieux connaître cet auteur  : 
 http://guenane.voila.net/

jeudi 12 décembre 2013

Le serment de Penhouët :  à Marie-Claude
L'élan en baie de Saint Jean :  pour Thibault Germain
D'un  monde  à  l'autre :  pour Camino roque
Paroles de fougères : Pour Marie-Josée-Christien

Le chant des lavandières de Gouyanzeur : Pour Guy Allix

La traversée rouge : pour Chris

Le témoin bleu de Kermadio : pour Dritange

Le cri de Cadoudal: pour Tilia

Spiralede Saint-Cado I : pour Joelma

Spirale de Saint - Cado à marée haute : To  the sea

Ode au couchant de Mériadec :  à Tesa Medina

Mémoire de Ria d'Auray : Pour Nathalie Beaumes
Mandala song : pour Uuna

Les  orgues silencieuses : pour Anne des Ocreries

L'adieu au Soleil : Pour Alain Jégou et Claude Pelieu




Pour Marty, avec  mon amitié.


Un  jour en Bretagne

Pas trop envie de  quitter l'île de Saint Cado, mais, si je veux  être  à  l'heure, au rendez-vous du soleil couchant et de la marée,  il faut partir maintenant.Le froid est vif. Je n'est croisé âme qui vive  à cette heure dans les rochers qui donnent dans la Ria d'Etel. Il est 16 heures et le soleil commence  à descendre. Nous sommes presque en hiver. Je n'ai parlé  à personne et la solitude de cet instant  me va. La vie est étrangement belle par moments. La nature  m'absorbe et je m'absente du  monde. Parfois  le réveil est brutal. Je me demande ce que je fais  là. Le sens  plein de mes actions ne m'apparaît pas dans  l'immédiat. Il me faut conjuguer, assemblages, ressenti, associations de couleurs,de  formes, émotions, exaltation, teintés de doute. Et si c'était la dernière fois ? Je boucle une année de plus et dans 8 jours exactement,  j'aurai 71 ans. Nul ne sait quel avenir  m'est destiné, mais j'ai  la belle intention de ne rien changer dans mon  mode de vie : pratiquer le land art, au jour le jour. Continuer  à publier des  poètes, ici, car leur parole nourrit mes rêves de liberté.
Je rejoins la plage du bourg de Saint-Cado qui fait face  à  l'Île du même nom. Il est temps de me mettre  à  l'ouvrage. Je commence le tracer d'une spirale dans ce  lieu de la Ria d'Etel dont les lumières sont surprenantes de beauté. A quelques mètres du bord, une barque de  pêcheur,  à l'ancre, se fait promener sur 180° par la marée  montante.On dirait qu'elle dans en  m'accompagnant. Ma solitude est parfois  interrompue par des compliments que  m'adressent des marcheurs, du haut de la digue " Eh ! Celle  là, elle n'est pas  née de la main de  l'homme ! Je pense " non ! Je travaille comme  un  pied". Mais répondre me déconcentrerai et il  me reste peu de temps, alors, je les salue de ma casquette. Ainsi, je trouve le temps de terminer dans les derniers rayons du couchant puis la mer reprend ses droits et dévore ma spirale. J'aime son appétit  !

Rive Droite : 
Au croisement des mondes des Vivants, des  morts et des esprits

Je cherche  à atteindre et découvrir la Baie de Saint Jean, depuis qu'une de mes lectrices me l'a recommandée. Mais voilà, malgré la carte d'état-major, ce n'ai  pas facile car je me laisse souvent distraire et je prends facilement les chemins de traverse comme ce jour  là. Je me dirige vers la rivière de Crac'h et je traverses quelques villages : Coët an Hour, Kerhivan, Kergroix, me laissant guider par la beauté des lieux. Rien  n'est grave dans ces petits voyages qui me perdent  puisque, je cherche cela.
Et  puis je tombe sur un endroit magique, très habité par l'eau. Un triangle de  routes, planté de chênes centenaires avec  au  milieu un lavoir envahi par les herbes et d'une attirance incroyable. Me voici  bien au croisement des  mondes des vivants, des morts et des esprits. Les cris des lavandières, leurs rires, ont convoqué les fougères pour qu'elles témoignent au lavoir de Gouyanzeur, de la vivacité des eaux dormantes et s’assemblent en triskel. Ici, les mémoires sont de chair et de sang et c'est par une ribambelle de gouttelettes rouges qu'elles rejoindront les chênes centenaires, au-dessus de cressons.Sur la route de Penhouët j'ai entendu le galop d'une cavale blanche, sans la voir. Aux chênes centenaires, témoins  muets, j'ai demandé de garder  le serment de Penhouët matérialisé par deux cœurs transpercés d'une  ligne rouge. Ici le geste  ponctue la vision et l'installe sur  un banc battu par les vents et la  pluie. Je reste sous le charme de cet endroit.
Je reviendrai au petit matin gelé, lorsque la brume recouvrira l'étang du silence qui  jouxte le lavoir et lui apporte  l'eau. Je lui confierai quelques  poésies secrètes d'Allix, de Grall, de Gwernig afin d’apaiser ces forces qui stoppent ma  progression  vers la Ria.

Rive Gauche

La Baie de Saint Jean
Quelques jours  plus tard, je décide d'attaquer  mes recherches par la rive gauche de la rivière de Crac'h. Bien sûr, j'aurai pu me faire emmener bêtement sur les lieux par  un autochtone mais où serait le  jeu et le plaisir ? En fait, après quelques errances de  plus, je constate que la clé de la découverte  passe par  le dolmen de Luffang, dont je vous ai parlé la dernière fois. Après, c'est facile  : marcher  plein Est  puis tourner première route  à gauche, vers Kerhihuel, Lann er Marr, rejoindre Kerjean à  l'Ouest, marcher  sur Kerougan et tourner  à droite au premier croisement. Après  un  kilomètre de marche,la Baie de Saint Jean, dans toute sa majesté.
Le sol est gelé, ce matin,  l'herbe craque sous mes pieds. L'air est vif et les cris des  oiseaux de  mer, transpercent l'espace. L'esprit des lieux est  immense. Il faut se faire tout petit, attendre, regarder, comprendre. Je marche au bord de  l'eau et rencontre bientôt,  une minuscule plage de sable fin.. Je pose  mon sac à dos et je m'agenouille pour contempler les rayons de soleil qui s'emparent de la ria. Instants rares  où  l'esprit se repose entièrement, bercé par le spectacle d'une nature apaisée. On  pourrait dire que le silence se fait  prière, si je savais  prier. Deux  installations naîtront de ces instants. La première parle de la vie, de la mort, autour d'une pomme de  pin   et des magnétismes échangés au  moment  où tout bascule.
La seconde sera réalisée  un peu plus tard pour artiste finlandaise, Uuna, très inspirée  par les mandalas et que j'aime beaucoup.
Je reviendrai le lendemain en fin d'après-midi, capter d'autres ondes, d'autres messages et lever un cairn avec la naïveté d'un enfant qui veut chanter la beauté du monde et rendre  hommage au coucher du soleil.


Roger Dautais



SANS COMMENTAIRE

Sans l'amère à boire eau  
fabulée sans embâcles sans
infernaux paluds ni lisières
pissées de sang sanglots
divinement mélancomiques
glauque noire plissée rouge
tout juste débâtée
incomestible et pourtant nourricière
fuite fuite cambuse des bourlingues
boutique sans retour à la bricole
voici qu'elle déboule et rempêtre l'amas méga
tonnant des galets polypoly morphes-et-chromes
ombre pour solde de tout compte
avalante incertaine

                            sans
écaillues sirènes aux mouillages forains
sans Noë Crusoë les mains dans l'achillée
mille-feuilles la roquette jaune la rose pimprenelle
sans part catégoriquement maudite
ou pas sans charge de la preuve   délivrance
désaveux palingénésies   sans fondu
tourneboulé l'or à l'aube et dans l'est
sans l'oiseau phénix la digitale pourpre
les corneilles grandes petites moyennes
l'aigrette dépeignée

beurré salé le ciel excessi
vement feuilleté foutoir
rectangulaire et décalco
maniaque à la fenêtre
large pièce de boeuf cru rouge/bleu
fourbi d'acide azur si peu que
si pourtant pas grand
chose et ni
                 fait ni à faire

sans espoir ou ni quoi
ni qu'est-ce son envers enfer  mais
non sans la petiote espérance l'enfant merveillée
qui criait dans les embruns ar mor! ar mor!

(On disait que là-bas les vents
désensés sans frontières gueulaient
noir couraient brassaient
la fumante écumante houle)

sans tambour ni trompette
bastingages ballasts bastringue à métaphores
sans trimètres amphibrachiques
ouèbe ou gougueule

sans lingerie armoire à confitures
rempailleuses ni matelassières à l'ancienne
sans les rues ni les bois profonds et noirs
sans le verbe être et tout ou
rien déluges majuscules rabines ou sauts de loup
sans les pluies sur la table rouge dans un parc à lilas
et ce pavillon un peu trop campagne et sans où
aller   belles verdures
         roses et pommiers
        
deuil pour deuil
sans lettre morte (ou vive)
l'Ource l'Armance la Lanterne et l'Ognon
le rouge-queue d'avant 8h
ni le papillon jaune citron les loopings
et les grands planés dans les vents norrois
des trissantes les hirondelles

sans la belle ombre
passagère rêveuse celle
qui dit: si mes souvenirs sont exacts
ce nuage je l'ai déjà vu il y a 107 ans
dans un grenier c'était
dans un faubourg  
                           qui dira: in my end
is my beginning et vice-versa

sans à qui parler pour de vrai
définitivement sans mots
mots mots cochonnerie
sans moi sans
                      MOI

et la vie c'était inouiement
douce ou pas douce ces jours
à bises draches et calicots noirs
et rouges    ces jours
                                à t'aimer
littéralement et dans tous les sens
dis    le fut-ce?

8 septembre 2013


Henri DROGUET 

Pour mieux connaître Henri Droguet  :

http://poezibao.typepad.com/poezibao/2012/01/henri-droguet-anthologie-permanente.html

mercredi 4 décembre 2013



Offrande au dolmen de Luffang : pour Sylvie Méheut

Vie et mort au dolmen de Luftang : à mon  Père


La parole donnée :  à Danièle Duteil


L'oubli : à Patrick Lucas


Le chant du sable : à Marie-Claude


Les beaux jours  à Mériadec :  pour Tony et Stéphanie 

Enlacement : pour Erin

Soigner la mémoire : à Francis Eustache
Survivre au chaos : pour Sadaya
Hentoù treuz : à Marie-Josée Christien

Le grand passage : à Rick Forrestal
Le salut aux sept Îles: à Youenn et Annaïg  Gwernig



Hentoù treuz *

A l'heure  où je quitte  mes chemins de  traverse (*Hentoù treuz ) le vent se sera chargé d'effacer  mes  pas, que ce soit aux sept Îles dans le Golfe du Morbihan, dans l'anse d'une autre  île, le Men Du,  où sur les feuilles de châtaigner et des aiguilles de pin, qui  jonchent la terre autour de l'énigmatique dolmen du Luffang, sur les rives de la rivière de Crac'h. En aucune façon, je n'ai  imaginé que ces installations soient pérennes, simplement des passerelles entre les êtres, vivants  ou disparus et ce  lieux qui me font rêver.

Le chant du sable

à Serge Thébault

L'heure de la renverse est prévue  pour 16heures35 .Avec un coefficient de marée fixé  à 89, la mer ne me laissera  pas beaucoup de  place sur la plage. Je commence quelques installations dans le bois de  pins maritimes qui se situe  à gauche, en sortant de la Trinité sur Mer, en direction de Carnac. Malgré  un soleil généreux, l'air reste frais avec ce vent de Nord. La lumière filtre à travers les branches et joue avec la couleur brune aux reflets rouge des aiguilles de  pin.
Avant de rejoindre la côte, je trace  une spirale d'aiguilles de pin, avec le plat de ma main. Le sol est doux,  presque souple. J'aime cette tendresse que la terre  m'envoie, comme un message et je termine  mon  mouvement de spirale par un enlacement du  pin le plus proche.
Je quitte le lieu et me dirige vers l'anse du Men Du. Lorsque j'arrive sur la  plage, la mer a déjà rempli une très grande surface de cette anse et, de  plus, elle  monte encore. Ne sachant pas encore s'il  me restera assez de  place  pour tracer  une spirale, j'en  prends le pari et j'évalue la nature du sol. Le sable st assez  compact ce qui veut dire,  plus difficile  à travailler. Si je veux tracer,je dois le faire sans perdre de temps. Je débarrasse l'endroit choisi des plus gros paquets de  goémon et je les rends  à la mer.
Je choisis le centre de ma future spirale et, corps tendu, énergie concentrée, je commence  à dérouler le sillon. Cinq  à six  minutes suffisent pour tracer les premiers tours, les plus serrés, ceux qui  font tourner la tête, et puis, c'est la prise de rythme.
Sans le regard qui calcule, jauge, évalue, transmet l'ordre du mouvement aux  pieds, rien ne va. Il ne doit  pas s'échapper vers  l'horizon mais, rester Focalisé sur cette mécanique des pieds et des jambes, pendant  une  heure  à  une heure trente, selon les difficultés rencontrées. Pendant les courtes poses, c'est lui qui évalue le travail réalisé. Les bras sont, soit, le long du corps, accompagnant le mouvement d'un léger balancement, soit, croisés derrière le dos quand  l'avance se fait difficile et que le corps entier participe au  mouvement.
Je me laisse bercer  par le chant du sable. Mon talon gauche repousse le sable et trace le sillon, centimètre par centimètre et cela produit une petite musique : freschh, freschh, freschh auquel répond le chant de la mer qui  pousse ses vagues courtes sur le rivage :sluchh,sluchh, sluchh et je suis le seul témoin de ce véritable kan ha diskan que le vent emporte vers le large. J'aimerai  partager ce bonheur avec celle que j'aime et je la rejoins par la pensée.
Il  me reste 5 tours  à tracer, la mer s'approche et je crois être  obligé de  lui laisser gagner la partie. A-t-elle saisi mon  inquiétude, est-ce son  heure, les deux,  probablement puisqu'elle choisit de se retirer au  même  moment. L’ile du Men Du  se détache comme  une ombre chinoise de la plage de Carnac. La partition  à trois reprend et le sable chante  à nouveau sous mes  pieds, accompagnant le départ de  l'océan.
Ma spirale n'est pas extraordinaire, car le sable est un peu gris,mais elle s'intègre parfaitement aux  lieux. La gratuité de l'acte me plait, son  côté éphémère aussi et cette question qui me revient  à chaque fois : si c'était la dernière ?
Je quitte sans regret la plage où il ne fait plus que 5 °.Demain , sera  un autre jour.

Le jour d'avant

Pour Annaïg Gwernig

Retour aux sept  îles, sous  un soleil généreux. Je continue l'exploration des lieux et je pense à ces vers de Xavier Grall qui me sont parvenus d'une artiste Dinannaise:
Viens en cette Bretagne ancienne /Je plaide pour l'homme nouveau /Je chante la route, le cercle, la danse /Je dis le retour de la fraternité.
Après ceci, je ne peux me tromper de geste. Les  pierres s'accoupleront au chêne  mort, les sables serviront de linceul aux vaines  pensées car l'enfouissement des souvenirs demande beaucoup de précautions si  l'on veut, en  même temps, garder  une chance de les retrouver. La mémoire s'ensauvage et se rebelle lorsque l'âge s'impose dans la dernière ligne droite. Garder un  peu d'images pour nourrir mes racines avant la bascule fatale. Les cairns montent, issus de la terre. Il  faut assurer  leur langage. La maladresse d'un  mot, d'une pierre mal posée,une bousculade, un retard et voilà l'oubli qui règne en maître aux Sept Îles et nous ressert des plats vides et froids. On n'invite  pas les morts aux festins virtuels, ils n'aiment pas  ça. La mer est froide,  l’exercice périlleux. La solitude habitée des vers de Grall n'est pas  là  pour arranger les choses. Aucune thérapie ne peut  l'éradiquer. La progression se fera entre les hauts  murs de la mémoire, les cris entendus, les cadavres rigides et bleus. Les descentes aux enfers tatouent le cœur de stigmates aux fers rouges. Puisqu'il faut se perdre offrons au soleil les dernières pierres froides. Qu'il les transforme en or au regard de  l'enfant qui  partagera sa joie avec son  père.
Ici tout est  permis puisque l'esprit divague et se laisse enchanter par la poésie des lieux. Aux rides profondes d'une pierre plate, j'ai  osé ajouter quelques couleurs vives et les chemins de traverse m'ont emmenés jusqu'au bout de la nuit, danser au Sabbat d'Etemclin, en attendant le solstice d'hiver.

Le jour d'après

Je continue ma découverte des mégalithes et, j'approche du dolmen de Luffang. J'ai toujours ce pincement au coeur  lorsque j'approche de ces terres sacrées. A deux pas de la rivière de Crac'h, elle même reliée au Golfe du Morbihan, ce dolmen est une ancienne allée couverte de 20 mètres de  long qui a perdu toutes les dalles de recouvrement. Le lieu est très magnétique. Je commence par faire le tour de  l'ensemble en touchant chaque  pierre, puis j'entre dans l'allée. Le concert  de croassement des corbeaux perchés au-dessus des arbres, cesse au moment  même  où je commence ma première installation. Je suis bien au royaume des morts dans cette sépulture et je travaille dans un silence absolu. Je vous l'ai dit,  on n' invite pas les morts aux festins virtuels, ce sont eux qui se présentent. Mon  père est  présent, dans l'humus, la mousse, les feuilles  mortes, nous travaillons côte  à côte, comme autrefois.Ces confidences gênent certaines  personnes. Qu'elles passent leur chemin, je sais faire la part des choses.
Je suis parfois dans la sépulture, parfois, dehors mais toujours relié à la grande  mémoire des lieux par mes travaux. Je n'ai  pas d'autres explications à cette communion  mystique et sacrée où personne d'autre que  moi aurait sa place en ces moments que  je ne fabrique  pas. Toutes mes installations sont rondes et me rattachent  à des faits  précis de ma vie. Dès que je quitte les lieux, les corbeaux reprennent leurs palabres et je les remercie de cette parenthèse silencieuse.
J'irai saluer la rivière pleine de cette marée Atlantique que je rêve de côtoyer du c^té de Port-Louis, un de ces jours prochains.

Roger Dautais

J'avais demandé  à Marie-Josée Christien de trouver une légende à la dixième photo de ce  jour, de la traduire en Breton, ce qu'elle a fait par amitié et je l'en remercie.
" Hentoù treuz " correspond  bien  à  l'esprit de mes voyages.



Cairn de Barnenez


Je sens la pierre

la terre une fois de plus

indubitables

le  plus beau  monument humain

le  plus majestueux

le  plus simple


comme si  une beauté très lointaine

m'était enfin rendue

sans que je puisse

comprendre davantage



Au seuil du vent

le cairn

exhibe son squelette

ses aspérités


La porte du monde
est  ouverte.


Marie-Josée Christien *

Un monde de  pierres
Éditons Blanc Silex  2001

* http://mariejoseechristien.monsite-orange.fr/




lundi 25 novembre 2013


Au cœur du Golfe : pour Tossan

Passage céleste : Pour Marty
Le gardien des 7 îles : à Serge Mathurin Thébault
Jour de tristesse : au vieux passant anonyme
Une dernière fois, en Ria en attendant  l'hiver : Pour Leovi
Jour après jour  : Pour Patrick Lucas
Les passions :  pour Jefferson B. Cezimbra

Le défi au soleil : Pour Camino roque
Sur la route des sept îles. : à Tony et Stéphanie
Défi au soleil II: pour France
Le solitaire ( île du Men Du) : Pour Helma
La  porte de  l'île du Men Du : Pour Bob Bushell

Le serment mauve : à Marie-Claude

 Car il faut que chacun
compose le  poème de sa vie. 
Youenn Gwernig

Sur la route des sept îles


Je viens de quitter le dolmen de Toulvern et je descends  vers le golfe du Morbihan sur une route jonchée d'aiguilles de  pin, qui la rendent  glissante. Dix  minutes  plus tard, c'est l'ondée.J'ai quitté la maison sous  un bel arc en ciel. Maintenant que je connais  un  peu  la région, je sais qu'en  me rapprochant du golfe, le temps s’éclaircira, avec un  peu de chance.
14 heures, j'emprunte le passage du barrage qui  mène aux sept  îles. Je progresse en sous-bois, avec la mer,  à droite d'où  montent de très fortes rafales de vent glacial. Je quitte le couvert et descends sur la grève. Je suis gelé, une fois de  plus. Je monte un premier cairn que le vent bascule sans  problèmes. J'insiste, sous les rafales et déniche  un coin de grève à l'abri sous  un  pin maritime. Je recommence  mon travail. A cet instant, je pense  à Youenn Gwernig à son  obstination , sa façon de se tenir debout dans la tempête, malgré tout et cela me donne du courage. Cette fois, le cairn équilibre dans le vent. Je peux continuer ma progression sur la grève et marquer cette avancée de jalons élevés  à ma façon. Soudain, le vent tombe, la pluie cesse, le soleil fait une timide  percée. Au-dessus de l'Ile aux Moines, c'est déjà le grand  bleu.
La rudesse du climat, la solitude, l'envie d'avancer malgré tout et de me sentir  bien en vie, font partie de ces choses que j'aime. Cette confrontation aux éléments, qui  plus est, en Bretagne,  me parle jusqu'au plus loin de ma mémoire. Ai-je  un jour connu l'existence facile ? Non. Dure épreuve et parcours de vie, commencés si jeune, sans autre choix. Était-ce nécessaire ? Ce n'est pas  à moi de juger.
Je marche en direction du Sud-Ouest, et découvre une plage inconnue de  moi, dont le parfait arc de cercle m'inspire. Bien que ne soit pas prévu, car cela retardera  mon avancée, je descends. Le sable convient  pour le tracer d'une spirale qui certes, sera  de taille  moyenne, mais sera mon  poème de la journée. L'exercice est bien maîtrisé dans un sable  souple, en  un  peu  plus d'une demi-heure. Elle a trouvé place entre deux sillons de laisse de  mer. Je remonte sur la petite  falaise pour examiner le travail. Elle est  réussie mais demande  à être prolongée par  un cordon ombilical en direction Sud-Est. Ainsi complétée, elle me convient  mieux, éclairée par un soleil oblique et doré. A marée montante, la mer viendra la recouvrir mais je ne serais  plus  là pour voir le spectacle car je dois avancer. 
Je marche vers  l'isthme qui se découvre et va me donner accès  à l'archipel des sept Îles. 
Je rêvais de cette traversée depuis des  mois., depuis qu'avec Marie-Claude, nous avions découvert cette passe sans l'emprunter, au  mois de Mai dernier.
La mer vient  à peine de se retirer que je marche en direction de  l'île et  mon esprit s'envole vers elle que j'aimerai être auprès de  moi. Étrange sentiment que de  mettre les pieds sur cette île, partager sa solitude, son intimité et la beauté sauvage du lieu en regardant le continent comme  une terre  lointaine. Je suis doué pour la gamberge!
Bien sûr, je pourrais me reposer, mais je ne le fais pas et ce ciel  pommelé m'accorde son aide. J'entreprends de lever des pierres trop  lourdes  pour moi en réunissant toutes mes forces  physique et mentales. Avec le poids qu'elle font, je ne peux me permettre de les reprendre  plusieurs fois et si elles tombent, je ne les relève  pas. C'est  pourquoi, je jauge, j'évalue, je calcule tout déplacement à  minima avant de faire mes efforts. Je monte ainsi un très beau cairn à l'entrée de  l'île. Il vivra le temps de sa destinée en compagnie d'un  conifère, bien éprouvé par les tempêtes. Le compagnonnage me plait, et  nul doute que, dans  mon esprit, lorsque je m'éloignerai,  il parleront de ce vieil homme , venu ici un soir d'automne, venu saluer les sept  îles  comme  il convient. Ainsi construisais-je mes rêves ! Dans la foulée, avant de regagner le continent, j'appelle Marie-Claude,  lui dit  où je suis, lui décris les lieux, le soleil couchant et lui promets de revenir ici, avec elle.
Ces détails peuvent paraître anodins, mais  ils expliquent comment une vie peut être totalement  imbriquée dans la pratique du land art et se dérouler,malgré tout, le plus simplement, le plus naturellement du  monde.
Je ressens ma fatigue pendant la marche du retour. Je diminue la cadence. Lorsque je reviendrai dans ces  lieux, je ne retrouverai aucun de  mes travaux,  puisqu'ils sont éphémères. Je reverrai  peut-être en  mémoire, ici  ou là des endroits qui  me parleront de traces disparues, effacées  par vents et marées, mais c'est tout.
Pour  moi, tout sera nouveau à voir, tout se redira autrement et je partirai  pour  un tour de  l'Ïle, avec en tête cette si belle chanson  éponyme de Félix Leclerc.
 Lorsque je reviendrai, j'irai saluer le dolmen de Toulvern,  y reprendre de  l'énergie vitale pour aller  plus  loin dans ma vie. J'affinerai l'expression, je ferai du quotidien,  un apprentissage, malgré les turbulences des éléments, malgré les douleurs ressenties qui sont les aléas d'une vie de vieux voyageur.

Roger Dautais





Le feu ne brûle pas
c'est un radiateur
qui gargouille parfois
comme s'il avait peur
comme s'il avait froid
les deux clochers d'Arbois
sonnent à la même heure
ce soir pas d'apéro
en face le carreau
du toit capte un dernier
reflet du jour d'octobre
et puis la cheminée
crache un peu de fumée
que le ciel enveloppe
et va porter ailleurs
comme lettre à la poste

de ma table je vois
la rue par la fenêtre
j'écris ce que je vois
pour ne pas disparaître
je serai disparu
avant demain peut-être
un vieillard dans la rue
croira me reconnaître
ce ne sera pas moi
ce ne sera personne
mourir ne surprend pas
celui qui n'est personne


Jean-Claude Pirotte *
Chronique douce, Le Promenoir Magique et autres poèmes 1953-2003, La Table Ronde, 2009,

* http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Pirotte

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Landartiste, photographe, auteur de livres pour enfants, Roger Dautais est aussi un artiste atypique, sensible et attachant.Il a sû, dans la diversité de ses expressions, trouver une harmonie par la pratique quotidienne de cet art éphémère : le Land Art. Il dit "y puiser forces et ressources qui lui permettent, également, depuis de nombreuses années, d'intervenir auprès de personnes en grande difficulté ( Centre de détention pour longues peines et personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer) pour les aider par la médiation de l'art.